Should we completely ban emails?

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Nous envoyons quotidiennement près de 300 milliards d’emails par jour, dont l’essentiel sont liés au travail. Bien que nous utilisions également de nouveaux outils collaboratifs, nous continuons d’envoyer et de recevoir toujours plus de messages de toujours plus d’interlocuteurs. Les cadres passeraient jusqu’à 5 heures par jour à traiter leurs emails.

La “pollution des emails” a été fortement ressentie par les Européens au moment de la mise en place de la RGPD, ajoutant parfois plusieurs centaines de messages supplémentaires à leurs boîtes email… La notion de “pollution” est devenue d’autant plus pertinente qu’une part croissante des emails ne sont pas des messages privés, mais des contenus peu inspirants comme les notifications des réseaux sociaux, messages automatiques, spams, publi-informations, etc. Les quantités sont aujourd’hui telles qu’elles obligent les utilisateurs à recourir à de nouveaux outils pour trier et “nettoyer” leurs boîtes.

Et si les emails étaient devenus plus nuisibles qu’utiles ? C’est une question que se posent sérieusement de nombreuses entreprises depuis plusieurs années. Certaines ont déjà complètement abandonné l’email comme outil de communication interne. D’autres en limitent l’usage aux heures de bureau et tentent de changer la culture de l’email, si toxique pour notre productivité. Faut-il aller jusqu’à interdire l’email ?

Une atteinte à la productivité

Les études se succèdent pour dénoncer les méfaits de l’email sur notre productivité. “Bien que l’email puisse donner aux gens l’impression d’être plus productifs, les chefs d’entreprise du monde entier découvrent que l’interdiction ou la limitation de l’accès aux emails rend leur personnel plus productif”, écrit David Burkus dans son livre Under New Management (2016), dont un chapitre entier est consacré à la question de l’interdiction des emails en entreprise.

Les spécialistes des sciences cognitives se sont penchés sur la manière dont l’email affecte notre capacité de concentration. Nous nous laissons régulièrement interrompre par notre boîte email et ses notifications. L’usage que nous faisons des emails nous pousse à faire du multitasking. Or les interruptions fréquentes altèrent profondément la qualité de notre concentration et notre capacité à travailler. Une interruption, même courte, nous fait commettre davantage d’erreurs. Quand nous parvenons néanmoins à travailler malgré ces interruptions, nous le payons par un surcroît significatif de stress et de mal-être.

Une étude célèbre menée il y a une dizaine d’années par la University of California Irvine, intitulée “The Cost of Interrupted Work: More Speed and Stress”, a expliqué de quelle manière notre usage de la communication électronique affecte notre productivité. “Il vous faut un certain temps pour arriver à se concentrer sur une tâche, et un certain temps pour revenir au même point après une interruption. Nous avons constaté qu’environ 82 pour cent de tout travail interrompu est repris le même jour. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il faut en moyenne 23 minutes et 15 secondes pour revenir à la tâche qu’on a interrompue”. “Les interruptions, même petites, s’accumulent. A la fin de la journée, ça fait plusieurs heures de concentration perdues”.

C’est le sujet sur lequel s’est penché Cal Newport dans Deep Work: Rules for Focused Success in a Distracted World (2016), dont le succès remarquable a même donné naissance à un mouvement, notamment au Royaume-Uni. “Si vous continuez à interrompre votre soirée pour vérifier et répondre à un email, ou si vous consacrez plusieurs heures après le dîner pour rattraper votre retard, vous vous privez du temps de repos ininterrompu nécessaire à tout ce qui requiert votre pleine concentration”, explique Newport.

De plus, explique-t-il, l’objectif “Inbox Zero” est adopté par des travailleurs en mal d’objectifs de production quantifiables. Vider sa boîte email donne le sentiment d’avoir travaillé quand, en réalité, pas grand chose n’a été produit. En d’autres termes, pour Newport, les emails tendent à remplacer le travail. Non seulement une grande partie de ces messages ne sont pas nécessaires, mais nous perdons également beaucoup de temps à nettoyer, archiver, transférer… Pour nous “débarrasser” d’un item, nous mettons parfois la poussière sous le tapis en transférant le message à quelqu’un d’autre, contribuant ainsi à augmenter le nombre total de messages échangés inutilement.

Pourquoi certaines entreprises ont pris conscience du problème

Soucieux de réduire le stress et d’augmenter la productivité de leurs employés, de nombreuses entreprises ont pris conscience de l’ampleur du problème. Elles connaissent les statistiques selon lesquelles l’email occuperait en moyenne plus d’un quart du temps de travail et les employés consulteraient leurs boîtes email jusqu’à 36 fois par heure…

Avec le développement d’outils de communication alternatifs, comme les réseaux Facebook at Work, Microsoft Teams, Slack ou les outils de gestion de projet comme Trello, le travail collaboratif peut s’effectuer davantage sans les chaînes d’emails avec de nombreuses personnes en copie. De plus en plus, l’idée s’installe que les conversations professionnelles ne doivent pas être “poussées” numériquement par email, au risque de dégrader les conditions de travail. Au contraire, les travailleurs devraient pouvoir chercher l’information quand ils en ont besoin et rejoindre les discussions uniquement quand c’est pertinent pour eux. La logique de “Pull” devrait remplacer la logique de “Push”. Les nouvelles plateformes de communication de groupe sont mieux conçues pour permettre le travail collaboratif que ne l’est l’outil email.

Comme l’écrivait Phil Libin, ancien PDG d’Evernote, un outil d’archivage de documents sur le cloud dont l’un des objectifs est précisément de tuer l’email, “l’email, ça va quand vous en recevez deux ou trois dans la journée. Ça n’a pas été conçu et imaginé pour les volumes immenses que l’on connaît aujourd’hui”. Cela fait donc des années que l’outil email n’est plus utilisé en interne dans l’entreprise Evernote.

D’autres entreprises cherchent à limiter l’usage de l’email. Consommé avec modération, il devient nettement moins toxique. Lorsque les employés sont inondés d’emails à toute heure du jour et qu’ils se sentent obligés d’y répondre en dehors des heures de travail, c’est tout leur équilibre de vie qui peut s’en trouver dégradé. Même s’ils ne répondent pas immédiatement, leur “charge mentale” s’en trouve alourdie et il n’est pas rare qu’ils accumulent du ressentiment vis-à-vis de leur entreprise.

Depuis le début des années 2010, plusieurs entreprises ont délibérément bloqué l’accès aux emails en dehors de certaines heures. En 2011, Volkswagen a pris la décision de bloquer les emails en dehors des heures officielles de travail. Les employés peuvent utiliser leur téléphone professionnel, mais seulement 30 minutes après l’heure de fin, les emails sont bloqués. Ils ne reçoivent plus d’emails et ceux qu’ils composent ne seront envoyés que le lendemain. Si les limites horaires ne semblent pas aller dans le sens d’une gestion flexible du temps de travail, ils présentent l’avantage d’installer l’idée que l’on ne peut / doit pas être constamment disponible. Ces limites sont aussi une manière de décourager les employés à perdre trop de temps dans une activité qui n’est pas jugée productive.

Depuis 2014, l’entreprise Daimler a mis en place une politique “zéro email en vacance” : non seulement un message automatique alerte les expéditeurs que le destinataire n’est pas disponible et les redirige vers quelqu’un d’autre, mais l’ensemble des emails reçus pendant les vacances est détruit, de sorte que l’employé vacancier ne se retrouve pas avec 2000 emails non lus à son retour de vacances. Les expéditeurs sont invités à réécrire un email ultérieurement ou à s’adresser à quelqu’un d’autre. L’entreprise Daimler s’assure ainsi que ses employés profitent vraiment de leurs vacances.

Avons-nous déjà atteint le “pic des emails” ?

On peut se demander si l’augmentation du nombre d’emails échangés pourra se poursuivre au même rythme à l’avenir, ou si, au contraire, ce moyen de communication est voué à décliner. Aujourd’hui, les appels téléphoniques sont dominés par les entreprises de campagnes marketing et les vendeurs de tout poil. De la même manière que l’usage du téléphone (fixe et mobile) a décliné de manière spectaculaire au cours des dernières années, l’usage de l’email pourrait lui aussi diminuer rapidement.

L’idée du droit à la déconnexion inscrit (maladroitement sans doute) dans le code du travail français, ainsi que les politiques managériales visant à réduire l’usage de l’email en l’entreprise ne sont qu’un des signaux de cette tendance probable. On peut également citer l’usage croissant des robots pour répondre aux emails et fixer les RDV : Julie Desk en France et X.ai aux Etats-Unis sont deux exemples de startups proposant un outil d’intelligence artificielle pour automatiser une partie de la gestion des emails. On peut remarquer aussi que la pratique consistant à éteindre (ou réduire) ses notifications est en augmentation.

Par ailleurs, l’usage commercial des emails est en partie compromis par la mise en place du RGPD, ce qui n’est pas sans faire peur à tous les professionnels de l’emailing. Les emails envoyés pour être en conformité avec le RGPD n’ont souvent pas été ouverts, ont été jetés sans être ouverts ou ont été utilisés pour se désabonner. Une très petite minorité des utilisateurs (environ 5% en moyenne) a accepté de rester sur les listes des entreprises qui leur envoyaient ces emails. On estime à 80% le nombre d’adresses qui ont été (et seront encore) retirées des bases de données utilisées pour les campagnes d’emailing, pour éviter les amendes importantes (jusqu’à 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaire) en cas de non conformité.

Comme l’a écrit le blogueur Enrique Dans sur Medium, “est-ce qu’on pensait vraiment que les utilisateurs allaient demander à rester sur des listes dont ils ignoraient l’existence ? À l’exception de quelques newsletters ou listes auxquelles on s’est inscrit, le marketing par e-mail va directement à la poubelle”.

Enfin, on peut remarquer qu’aucune innovation dans les protocoles réseaux ne s’est produite depuis la fin des années 1990 (avec notamment les protocoles HTTP et SSL). Or nombre des problèmes de l’internet d’aujourd’hui seraient résolus si l’on innovait dans le domaine des protocoles pour faciliter l’organisation, le tri et le filtrage des communications par email. Peut-être qu’un nouveau protocole issu de cette vague d’innovation pourrait un jour transformer la gestion des flux d’emails.

Il y a fort à parier pour que les générations futures voient nos heures passées à gérer nos emails, avec le même oeil que nous regardons aujourd’hui l’usage du téléphone ou celui du fax… Espérons que nous travaillerons mieux !

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