What BlackBerry Can Teach Us about Turnarounds

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L’entreprise canadienne Research in Motion Limited (RIM), aujourd’hui BlackBerry Limited, a été la première à lancer, à la fin des années 1990, des appareils mobiles qui permettaient à la fois de téléphoner et d’accéder à sa messagerie électronique. Au début des années 2000, les BlackBerry étaient devenus un symbole de pouvoir pour les cadres dirigeants. En janvier 2009, avant de s’installer à la Maison Blanche, Barack Obama, très attaché à son BlackBerry, avait refusé de s’en séparer. En 2009, BlackBerry dominait totalement le marché des smartphones, avec 47% de parts de marché en 2009. Mais en deux ans seulement, Apple a détruit cette position. Dès 2012, la part de marché de BlackBerry est tombée en dessous de 4%. Elle est aujourd’hui très proche de zéro. Peu de marques si puissantes ont connu une chute aussi rapide.

Le sort de l’entreprise BlackBerry a inspiré de nombreux articles et analyses. On la range souvent dans la catégorie des entreprises ou marques balayées par Apple et la révolution numérique, comme Nokia, Ericsson ou Kodak. Pourtant BlackBerry Limited existe toujours. Mike Lazaridis et Jim Balsillie, les deux PDG “historiques”, en désaccord sur la stratégie à adopter, ont laissé la place à Thorsten Heins, qui est parti à son tour pour être remplacé par John Chen, le PDG actuel. En novembre 2015, alors que BlackBerry lançait son dernier smartphone, le BlackBerry Priv, un appareil dont la qualité a été unanimement saluée, la presse économique a parlé du “retournement” de BlackBerry. Mais qu’est-ce qu’un retournement réussi à l’ère de la domination des géants du numérique? BlackBerry a dû relever dans son histoire au moins deux grands défis stratégiques, qui constituent aujourd’hui des cas d’école.

Question stratégique n°1 – Marché grand public ou marché BtoB ?

La principale raison du déclin de BlackBerry est la démocratisation des smartphones. L’entreprise a dominé son marché à une époque, pas si lointaine, où ces smartphones n’étaient utilisés que par les cadres dirigeants. Elle a été balayée quand leur usage s’est développé auprès du grand public.

Se diversifier auprès du grand public a donc été, pour BlackBerry, une décision stratégique fondamentale, prise en alliance avec l’opérateur téléphonique Verizon, qui a poussé BlackBerry à développer un “tueur d’iPhone”. Le résultat a été le lancement d’un nouveau smartphone avec un écran entièrement tactile, le Z10. La mise au point de cette technologie inédite pour BlackBerry a constitué une prouesse ; mais le Z10 est arrivé bien trop tard sur le marché, où il a semblé être un appareil à écran tactile parmi d’autres, pas suffisamment performant pour concurrencer Samsung et d’autres concurrents déjà présents sur le marché.

Les problèmes du Z10 étaient nombreux. Il était plus cher que les produits des concurrents. Il déplaisait aux inconditionnels de la marque, qui restaient fidèles à BlackBerry précisément pour tout ce qui différencie ses appareils des smartphones grand public : l’austérité du design ; l’objectif de ne pas distraire les utilisateurs de leur travail, concrétisé par la relative pauvreté des applications (notamment des jeux) ; l’ergonomie du clavier physique, qui permet de rédiger des emails à la chaîne ; enfin, les avantages en matière de sécurité des données, qui faisaient de BlackBerry le fournisseur de choix des très grandes organisations publiques et privées (grandes banques ou administrations publiques), toujours soucieuses de protéger leurs données sensibles.

Trop tard, trop cher, pas assez performant : la tentative de se lancer sur le marché grand public avec le Z10 s’est soldée par un échec retentissant et de lourdes pertes d’exploitation. Robert Glen, directeur marketing monde de BlackBerry a concédé peu de temps après le lancement du Z10 que l’idée de viser le grand public avait été “une erreur stratégique majeure”. Dans un marché déjà saturé, il est finalement apparu plus judicieux de cibler une niche étroite. La tendance forte sur le marché grand public est la commoditisation des appareils. En 2015, les ventes de smartphones ont augmenté en volume, mais pas en valeur, car le prix moyen a baissé de 6%.

Après l’échec du Z10 en 2013, BlackBerry s’est à nouveau recentrée sur la niche des professionnels en cherchant à offrir un outil de travail performant. En 2014, le lancement du modèle BlackBerry Passport illustre ce choix stratégique : il offre un écran plus grand destiné aux professionnels de la finance qui veulent y afficher des fichiers Excel, ou aux professionnels de la santé qui veulent analyser des radios. Mais le Passport n’aura pas laissé un souvenir inoubliable, tant le marché visé était petit (tout au plus quelques millions d’utilisateurs visés). Il est également arrivé un peu trop tard sur le marché car nombre de ces professionnels s’étaient déjà durablement éloignés de la marque.

Question stratégique n°2 – Plateforme propriétaire ou insertion dans un écosystème existant ?

Android et iOS sont devenus d’immenses plateformes, sur lesquelles ont été développées des millions d’applications. Leur taille importante — des centaines de millions d’utilisateurs pour chaque système — permet seule de rentabiliser les efforts des développeurs d’application. La stratégie de plateforme fait la fortune d’Apple, qui prélève 30% des recettes de chacun des développeurs présents sur sa plateforme, en plus de capter la valeur sur la vente des appareils Apple. Google a vite imité Apple en déployant le système d’exploitation Android à une échelle plus grande encore.

Ce combat de titans n’a pas arrangé la situation de BlackBerry. En renonçant à concurrencer Apple sur le marché des appareils et en misant tout sur Android, Google a contribué à faire des appareils une commodité. Samsung et bien d’autres produisent désormais des dizaines de modèles de smartphones fonctionnant avec le système d’exploitation Android. Du fait de l’intensité de cette concurrence entre fabricants, les prix de ces appareils ont baissé de manière considérable au cours des dernières années.

BlackBerry a pourtant été la première entreprise à faire de son système d’exploitation mobile une plateforme potentiellement génératrice d’effets de réseau. Pour beaucoup de développeurs, il a été, un temps, rentable de développer des applications pour BlackBerry. Mais lorsque Apple puis Android ont élargi la taille du marché pour les applications sur iOS et Android, la question du choix du système d’exploitation s’est posée pour BlackBerry. BlackBerry a d’abord tenté de se différencier : avec le rachat de l’entreprise logicielle canadienne QNX, la direction choisie a d’abord été celle du système propriétaire. Le Z10 n’appartenait à aucun des écosystèmes Android ou iOS. Le prix à payer a été une relative pauvreté de l’offre applicative, qui a contribué à faire du Z10 un échec commercial.

Avant le départ des deux co-PDG historiques de l’entreprise, BlackBerry avait déjà été confrontée une première fois à une question stratégique similaire : celui du déploiement de l’application BBM. L’application de messagerie instantanée de BlackBerry, qui compte aujourd’hui encore des millions d’utilisateurs, aurait pu s’imposer comme la première application de messagerie instantanée et gagner tout le marché si elle avait pu être utilisée sur tous les systèmes, y compris Android et iOS. Mais les dirigeants de BlackBerry étaient divisés sur le sujet : la qualité et la popularité de BBM ont fait penser à l’un des deux PDG de l’époque que l’offre exclusive de BBM sur BlackBerry pouvait être un argument de vente pour les appareils de la marque. BBM n’est donc pas devenue une application potentiellement utilisable par plusieurs milliards d’utilisateurs.

Une question similaire s’était posée à Apple à l’époque du lancement d’iTunes, que Steve Jobs souhaitait réserver aux seuls utilisateurs de Mac. Steve Jobs, qui avait grandi dans l’obsession du système fermé propriétaire, avait l’impression que ce sytème commençait à payer. Heureusement pour Apple, les collaborateurs de Steve Jobs ont su le convaincre qu’il fallait également proposer iTunes aux propriétaires de PC, déverrouillant ainsi le marché des iPod et préparant le terrain pour l’iPhone, aujourd’hui principale source de revenus d’Apple.

Le Blackberry Priv est-il la réponse parfaite aux deux questions stratégiques ?

BlackBerry a lancé en novembre 2015 son dernier modèle, le BlackBerry Priv, qui semble être la parfaite synthèse des problèmes stratégiques énumérés plus haut. Le nom du Priv évoque la “Privacy” et permet de mettre en avant la sécurité des données sur BlackBerry.

Avec le Priv, la première question stratégique est résolue : BlackBerry s’est repliée sur un marché BtoB ; elle cherche avant tout à satisfaire sa clientèle d’affaire avec un outil de qualité, un clavier physique ET un clavier tactile (donc la possibilité d’agrandir considérablement la taille de l’écran en le débarrassant de l’écran tactile). Le Priv répond aussi au deuxième défi stratégique, puisqu’il opte pour le système d’exploitation Android. Il peut donc s’insérer dans le riche écosystème d’applications Android. L’excellence de l’appareil a été unanimement saluée par la presse spécialisée : TheNextWeb salue “l’un des meilleurs téléphones Android sur le marché” et le journal britannique Daily Mirror parle du “grand retour que les fans de BlackBerry attendaient

Malheureusement, le Priv semble finalement ne rencontrer qu’un succès d’estime. Une fois de plus, BlackBerry a répété ses erreurs habituelles : un produit trop cher, arrivé trop tard sur le marché. Les opérateurs téléphoniques ne suivent pas assez vite. Le lancement s’est fait le 6 novembre 2015 avec une offre exclusive AT&T aux Etats-Unis. 2 millions d’appareils avaient été vendus fin 2015, mais les chiffres ont ensuite baissé rapidement.

Les difficultés et les questions stratégiques auxquelles BlackBerry a été confrontée depuis 2008 illustrent le “dilemme de l’innovateur”, expliqué par l’universitaire Clayton Christensen. Il est presque impossible à une grande entreprise dominant le marché d’innover mieux que ses concurrents. Pourquoi les entreprises qui ont tout pour réussir se font doubler par d’autres ? Il y a à cela plusieurs raisons : les clients et les actionnaires imposent aux entreprises des contraintes rigides ; l’analyse financière préalable à toute décision d’investissement privilégie toujours le statu quo ; quand le groupe est grand, il a besoin d’un marché large, or l’innovation commence toujours sur un petit marché de niche, trop petit pour des acteurs déjà dominants ; bien souvent, l’innovation consiste à créer un marché nouveau : or les processus de prise de décision dans les grands groupes sont inopérants si le marché n’existe pas encore ; enfin, l’innovation incrémentale des grands groupes s’accompagne d’une hausse des prix qui finissent par détourner les clients de l’entreprise.

Le Priv, malgré tout, marque les progrès du retournement de BlackBerry. Grâce à lui, le cours de l’action a augmenté de 25% à la fin de l’année 2015. Il a aussi permis à BlackBerry de retrouver une situation financière viable. Le fait que l’entreprise n’ait pas disparu et lance encore des nouveaux produits est en soi la preuve qu’elle a su se retourner. La part de marché de BlackBerry sur le marché des smartphones est de zéro pour cent, mais BlackBerry vend tout de même quelques millions d’appareils, ce qui n’aurait pas été considéré comme ridicule il y a 20 ans… 

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