Confucius and Managers

12 December 2016 - Author : Laetitia Vitaud

This article is only available in French.

Déjà l’auteure d’un ouvrage sur L’Art de la guerre pour les dirigeants, Domitille Germain publie le mois prochain chez Dunod, avec Bérénice Germain, Confucius en Action : les principes du maître appliqués au management d’équipe. WillBe Group a interviewé l’auteure…

Comment vous êtes-vous intéressée à l’application de la philosophie antique chinoise au management ? Comment avez-vous fait se rencontrer ces deux univers ?

En travaillant en Chine chez Veolia, à ma sortie d’HEC, j’ai été régulièrement confrontée à ces auteurs antiques, qui imbibent largement la culture et les réflexes chinois en entreprise. Mes clients et mes collègues les citaient souvent. Après six ans d’expatriation, j’ai décidé de me plonger dans le mandarin et le chinois classique, d’abord à Pékin auprès d’un calligraphe, puis à l’université à Paris, tout en faisant du conseil en stratégie.

L’Art de la guerre de Sun Tzu est le plus ancien manuel de stratégie militaire, constamment cité en exemple dans les livres de stratégie d’entreprise. Mais les auteurs n’entrent pas dans le vif de la stratégie selon Sun Tzu. J’ai donc décidé d’y regarder de plus près et j’ai écrit un livre de stratégie d’entreprise pour les dirigeants : Sun Tzu, de l’art de la guerre à l’art de diriger.

Cela réunissait simplement les deux univers que je développais parallèlement, la stratégie d’entreprise et la philosophie chinoise. Le livre et les outils proposés ont été bien reçus par les dirigeants car ils offrent un prisme inhabituel sur la complexité de l’entreprise, qui permet de faire émerger des solutions. Je poursuis, cette fois avec Bérénice Germain, qui est une ancienne consultante en organisation, l’exploration de cette intersection avec cet ouvrage sur Confucius et la motivation des équipes.

Les Occidentaux associent spontanément Confucius à l’idée d’obéissance, une idée qui nous semble assez étrangère. Alors qu’on glorifie l’esprit de “rébellion” des innovateurs de la Silicon Valley, pensez-vous que Confucius puisse quand même nous parler ?

Ce cliché provient de la confusion entre l’obéissance à l’ordre établi et l’adhésion à une culture d’entreprise. Confucius s’intéresse au bon gouvernement d’un État ; nous avons transposé ses recommandations au bon gouvernement — ou management — d’une équipe au sein d’une organisation.

En transposant Confucius au management d’équipe, ce qui est requis est l’adhésion stricte à une culture d’entreprise, qu’elle soit rebelle, innovante ou traditionnelle. Les entreprises dites rebelles ont des codes, des usages, qu’ils demandent à leurs employés de respecter. Ces codes diffèrent des autres entreprises et établissent les règles de fonctionnement de cette organisation en particulier. Les employés doivent donc obéir à ces règles précises.

En outre, en suivant Confucius, les collaborateurs doivent une loyauté totale à leur chef. Or cette loyauté comprend une obligation méconnue : l’obligation de critiquer son chef. Confucius prône le feedback critique du collaborateur vis-à-vis de son chef (du ministre vis-à-vis du prince dans ses termes) comme un devoir, « quitte à le heurter », mais en y mettant les formes que les usages demandent et sans exiger que ses propositions soient mises en œuvre. Cette facette de la loyauté selon Confucius a été escamotée par les partisans de l’autorité.

De plus, la doctrine de Confucius vise à promouvoir des managers qui sont dans l’action, qui mettent en pratique immédiatement tout ce qu’ils apprennent et qui sont capables d’autonomie et de faire grandir l’autonomie de leurs collaborateurs. Il affirme que son meilleur disciple, Yan Hui, était celui qui était le mieux à même d’extrapoler.

Enfin, dans les Entretiens de Confucius, il existe tout une série de recommandations sur l’apprentissage—qui, rappelons-le, n’a pour unique objectif que l’action. Le seul qui se rapproche de l’obéissance est l’apprentissage par l’imitation. Mais même dans ce cas particulier, Confucius enjoint à chacun de choisir ses modèles en fonction de son aspiration.

Sinon, il propose d’apprendre en posant des questions à tous sur tout, même sur son domaine d’expertise. Il propose aussi d’apprendre en observant ses propres actions et émotions pour les modifier et, enfin, il propose d’apprendre dans les textes pour s’ouvrir l’esprit. Cependant, l’obéissance à la culture d’entreprise sert de cadre et de frein à l’ouverture et l’enthousiasme des disciples de Confucius.

Ainsi, en transposant la pensée de Confucius, oui il faut obéir à la culture d’entreprise dans laquelle vous souhaitez vous insérer, qu’elle soit rebelle ou pas, et oui il faut développer au sein de cette culture d’entreprise un esprit critique et des capacités autonomes d’apprentissage et de mise en œuvre. Il propose d’agir vite, de faire des erreurs et de s’amender, ce qui est aussi propice à l’innovation. Enfin, selon Confucius, seul un bon chef mérite d’être servi, avis aux rebelles !

Pourquoi Confucius est-il moderne ?

Comment gouverner les hommes et les motiver pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes me semble une question très moderne. C’était aussi la question de Confucius, même s’il proposait ses services et à sa méthode aux États et aux princes de son époque et que nous les avons transposés aux entreprises.

On voit des citations de Confucius partout, ainsi que des ouvrages qui lui sont consacrés. Confucius est partout, un peu comme Jésus. Est-ce que vous ne pensez pas qu’on cherche trop à le mettre à toutes les sauces ?

C’est tout de même un des plus grands succès de l’humanité ! Il a influencé une bonne partie de la planète depuis plus de 2 500 ans. Devant ce succès historique et l’influence croissante de la Chine, j’ai fait le pari qu’il y avait des enseignements à en tirer, et j’ai été servie ! Je propose une série de recommandations à partir de la lecture de Confucius, dont chacun peut s’inspirer si cela lui parle.

Ceci posé, vous avez raison, Confucius a bon dos et, même en Chine, des gens aux objectifs et aux pensées bien différentes s’en réclament. Ici, il est souvent utilisé dans les présentations, et je m’étonne de voir circuler sur Internet et dans les présentations des fausses citations de Confucius. Comme il n’existe qu’un texte qui nous rapporte ses discussions avec ses disciples, les Entretiens de Confucius, il est facile de les vérifier. Quant à savoir si une licorne a réellement régurgité un livre de pierres précieuses avant sa naissance ou s’il est devenu un Dieu qui accorde de bonnes notes aux examens quand on le prie dans les temples de Confucius, je laisse chacun libre de se faire une idée.

Avec quel(s) objectif(s) avez-vous écrit ce livre sur Confucius en action ?

On écrit toujours les livres qu’on aurait voulu lire !

Notre objectif, avec Bérénice Germain, qui a co-écrit le livre, est d’allier l’utile à l’agréable pour les managers. J’ai beaucoup d’admiration pour l’art des bons managers, qui savent motiver leurs équipes, ceux pour qui on est prêt à donner le meilleur de soi-même. Nous cherchons avec ce livre à proposer des pistes pour ceux qui cherchent à mieux gérer leur équipe.

Ce livre propose une démarche pour les managers afin qu’ils apprennent à questionner leur pratique et adopter celles qui leur conviennent.

En outre, la fréquentation de ces textes fait du bien alors je souhaite en faire profiter d’autres que moi, dans une forme plus accessible.

Que signifie la calligraphie chinoise en couverture de votre livre ?

Cette calligraphie du caractère Zhi signifie à la fois connaissance et sagesse. La sagesse, selon Confucius, revient à connaître les hommes afin de mieux les gouverner.

Quels sont ces “principes du maître” que vous jugez indispensables à tout manager ?

Il faut lire le livre ! Il y est proposé une démarche pour motiver ses équipes. Elle s’appuie sur une vision de l’homme qui ne nous est pas habituelle : il faut considérer une personne comme un faisceau de relations, non comme un simple individu. Ce principe permet de mettre l’accent sur le développement des relations avant celui des individus.

  • Étape 1 : définir l’ambition, c’est-à-dire l’ardeur dans l’action, le sens proposé à l’action collective ;
  • Étape 2 : incarner l’ambition en montrant l’exemple dans les relations de proximité, c’est-à-dire avec son chef et ses pairs ;
  • Étape 3 : Incarner la culture d’entreprise afin de la diffuser en montrant l’exemple ;
  • Étape 4 : Gérer au quotidien ses collaborateurs directs de façon individualisée ;
  • Étape 5 : Insuffler la volonté de s’améliorer en permanence par l’apprentissage et mettre en pratique ce qui est appris de façon autonome.

Un principe indispensable à mon avis est l’accent mis sur l’apprentissage permanent et la mise en application immédiate, dans l’action, de tout ce qui est appris. C’est l’état d’esprit de Confucius qu’il faut retenir : apprendre pour mettre en action, afin de bien gouverner les hommes.

Sur un ton plus léger, il y a un principe qui a l’air simple mais qui est efficace, sur l’action rapide :

 Ji Wenzi réfléchissait trois fois avant d’agir. Le Maître, en l’apprenant, dit : « Deux fois, c’est bien assez ! » 

Que pensez-vous de l’idée du management “libéré” ? N’est-ce pas fondamentalement incompatible avec les enseignements de Confucius ?

Ce management « libéré », qui donne du contrôle aux individus sur l’organisation de leur travail, leur permet d’être plus impliqués et concernés. Elle correspond à une nouvelle forme de culture d’entreprise, des usages et des « rites » pour prendre le terme de Confucius, auxquels les employés sont loyaux.

Cela me semble parfaitement compatible avec les enseignements de Confucius que nous avons retenus. Il faut s’insérer dans une culture d’entreprise, qu’elle soit libérée ou traditionnelle, afin de collaborer de façon fluide avec le groupe. Il faut traiter ses collaborateurs selon les usages de la culture d’entreprise, servir son chef (le souverain chez Confucius) avec loyauté, et lui faire des feedbacks critiques. Cela me semble valable aussi pour les organisations au management libéré.

Confucius intime de respecter les rites, et décline les rites de son époque, les pas à faire dans une pantomime, la façon de se vêtir ou de parler devant quelqu’un en deuil. Dans notre transposition les rites sont la culture d’entreprise. Nous proposons de garder l’esprit de loyauté aux rites qui permettent des relations et des collaborations fluides au sein du groupe, mais le contenu des rites reste du domaine de chaque organisation, y compris les rites de management libéré.

Comment la philosophie chinoise vous aide-t-elle à répondre à la question “Qu’est-ce qu’un bon manager ?” Quelle est votre réponse personnelle à cette question ?

Les auteurs qui m’intéressent s’adressent aux princes et émettent des conseils ou proposent une doctrine pour gouverner. Ils sont lus par des milliards de personnes depuis plus de 2000 ans. On peut dire qu’ils sont inspirants !

Je considère l’entreprise comme un État et j’examine les propositions de ces penseurs pour les rois de l’Antiquité pour voir s’ils ont une utilité pour gouverner les entreprises d’aujourd’hui. Je les mets en travail avec des dirigeants et des managers.

Les auteurs antiques chinois que je mobilise permettent d’approfondir des facettes du bon manager, d’en dessiner un état d’esprit et des dispositions. Avec l’art de la guerre selon Sun Tzu, c’était la question de la stratégie d’entreprise qui était posée, et en particulier l’art de ne pas faire la guerre. Avec Confucius, c’est la motivation des équipes.

Le bon manager, en suivant Confucius, brille et montre l’exemple, suscitant l’adhésion et l’enthousiasme de ses équipes. Il apprend, s’améliore en permanence et diffuse cet état d’esprit dans l’organisation, développant un système de collaborations idéales qui rend l’équipe plus productive dans l’entreprise.

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