On the Future of Corporate Titles

21 November 2016 - Author : Laetitia Vitaud

This article is only available in French.

ou pourquoi la pensée magique ne suffit pas

Dans les startups comme dans les entreprises plus traditionnelles, la “révolution” des titres et intitulés de postes est en marche. Partout, l’anglais domine. Les “Community Managers” ont remplacé les “responsables communication”, les “Chief Digital Officers” se multiplient, tout comme les “data scientists” ou encore les “Chief Happiness Officers” (dont on ne sait pas bien s’ils font partie des RH ou pas). Par-ci par-là, des “ninjas” et autres “jedis” ont fait leur apparition, révélant la popularité de la culture geek importée de la Silicon Valley.
Mais peut-on espérer insuffler la transformation en commençant par les titres et l’organigramme ? Les mots ont-ils un pouvoir magique qui suffit à faire changer l’entreprise ? Rien n’est moins sûr…

Dans les startups comme dans les entreprises plus traditionnelles, la “révolution” des titres et intitulés de postes est en marche. Partout, l’anglais domine. Les “Community Managers” ont remplacé les “responsables communication”, les “Chief Digital Officers” se multiplient, tout comme les “data scientists” ou encore les “Chief Happiness Officers” (dont on ne sait pas bien s’ils font partie des RH ou pas). Par-ci par-là, des “ninjas” et autres “jedis” ont fait leur apparition, révélant la popularité de la culture geek importée de la Silicon Valley.
Mais peut-on espérer insuffler la transformation en commençant par les titres et l’organigramme ? Les mots ont-ils un pouvoir magique qui suffit à faire changer l’entreprise ? Rien n’est moins sûr…

Titres, organigrammes : une volonté de transformation

La transformation numérique est devenue un impératif pour toutes les entreprises. Pour relever ce défi, nombre d’entre elles s’intéressent aux nouveaux penseurs comme Isaac Getz, auteur de Freedom Inc., qui font connaître en France le management libéré des entreprises de la Silicon Valley. On sait que Google et Facebook ont moins de niveaux hiérarchiques que des entreprises plus anciennes de taille comparable. Depuis leur amorçage, ces entreprises ont mis l’accent sur la culture et les données plutôt que sur la bureaucratie et les processus — y compris en matière de gestion des ressources humaines.

Persuadées, parfois à juste titre, qu’il faut s’inspirer des principes de management des jeunes entreprises numériques, les entreprises de l’économie fordiste sont promptes à appliquer ces recettes. Elles s’efforcent de recruter des profils plus numériques. Elles transforment leurs organigrammes. Elles changent les intitulés de poste.

Tous ces chantiers sont liés. Derrière les titres de data scientist, growth hacker ou community manager se trouvent des compétences qui n’ont pas toujours d’équivalent dans l’ancienne économie : la communication, la publicité, la collecte et l’analyse des données ne sont plus de manière “top down” mais requièrent des modes de fonctionnement nouveaux, davantage “bottom up”. Vouloir recruter des profils différents pour occuper des postes à l’intitulé nouveau, c’est aussi intégrer ces nouvelles compétences indispensables à l’entreprise en transformation.

Mais l’organigramme d’une entreprise est un épiphénomène

Un organigramme n’existe jamais par hasard : il est la résultante de l’activité historique de l’entreprise. Il ne peut être décrypté qu’à l’aune des objectifs stratégiques de l’organisation. Prétendre plaquer un nouvel organigramme sur une entreprise sans changer radicalement ses autres dimensions, comme l’activité, la culture ou les indicateurs de performance, est toujours voué à l’échec.

Une référence utile est la distinction établie par Karl Marx entre l’infrastructure et la superstructure. De l’infrastructure (tout ce qui est relatif à la production, comme les forces productives et les rapports de production) découle la superstructure (tout ce qui n’est pas matériel, comme les institutions politiques et la religion). Dans la conception marxiste, le changement social est impulsé par les transformations du système de production. Par exemple, la Révolution industrielle a contribué à transformer la société féodale en la dotant d’institutions nouvelles, plus adaptées à la nouvelle manière de produire et de consommer.

On peut considérer l’organigramme comme faisant partie de la “superstructure”, une institution découlant largement de l’infrastructure de l’organisation — c’est-à-dire de l’ensemble des activités et “rapports de production” qui forment son héritage historique.

Or commencer une transformation par la “superstructure”, c’est se condamner à faire des changements “hors sol”. Vouloir faire tabula rasa de son héritage pour copier le modèle d’une entreprise qui n’a pas encore d’histoire est une démarche vaine et contre-productive. L’enjeu de la transformation n’est pas d’effacer son histoire, mais de revaloriser son héritage. Une entreprise comme La Poste est un bon exemple : dans notre économie en transition, elle cherche à valoriser son héritage — un maillage territorial dense, une culture du service incarnée par la figure du facteur, etc. — plutôt qu’à le passer par pertes et profits.

Du danger de copier-coller des titres ou des organigrammes

Une autre démarche tout aussi vaine, liée à la remise à plat des organigrammes, est la réinvention des titres des collaborateurs de l’entreprise. Là encore, la mode est au copier-coller : on copie les titres utilisés par les entreprises numériques et on les colle dans l’organisation des vieilles entreprises fordistes. Au delà du caractère factice de cette transformation et du ridicule de l’utilisation permanente de termes anglais dans des entreprises françaises, ce copier-coller présente plusieurs dangers majeurs :

A culture et stratégie inchangées, la greffe ne prend pas : si les nouveaux titres correspondent à des nouvelles fonctions, les personnes concernées seront tôt ou tard marginalisés au sein de l’entreprise. Ainsi en est-il des “Chief Digital Officers” qui, lorsque la transformation numérique a été pensée sans lien avec la stratégie de l’entreprise, sont parfois rabaissés au rang de pure décoration. Comme écrit dans notre article “Innovation Washing”, “avant de communiquer sur leurs chantiers d’innovation, les entreprises doivent d’abord résoudre le fameux dilemme de l’innovateur et transformer leur culture, leur organisation et leur fonctionnement au quotidien”.

Le copier-coller de concepts étrangers sans s’intéresser à la réalité de l’expérience des clients peut être perçu de manière négative par ces derniers (“Mon agence de l’emploi est devenue job center, mais je suis toujours aussi mal servi. Se moque-t-on de moi ?”). Si une entreprise fait savoir qu’elle se “modernise” mais que rien ne change pour le client (files d’attentes aussi longues, voire plus longues ; qualité de service inchangée, etc.), alors elle produit davantage de frustrations et d’attentes déçues auprès de ses clients.

Quand ils perçoivent un écart important entre les titres (le discours) et la réalité culturelle de l’entreprise, les candidats dont les profils sont les plus convoités (ceux dont les compétences sont indispensables à l’âge numérique), craindront d’être marginalisés et inefficaces. Rien ne fait plus peur à un candidat que l’idée d’être placardisé dès l’embauche ! Pour un employeur, mieux vaut montrer que l’on prend le candidat très au sérieux et que son action ne sera pas décorative, quitte à rester un peu “ringard”…

L’amélioration d’une marque-employeur ne peut se faire à coups de gadgets. Des startups comme Glassdoor se chargent de révéler au grand jour les écarts entre les beaux discours et la réalité. Pour éviter les désagréments du Don’t believe the hype, mieux vaut donc prendre les nouveaux titres avec des pincettes.

Les entreprises sont sincèrement préoccupées par l’épanouissement de leurs collaborateurs au travail (les employés heureux sont plus productifs). Pour relever ce défi, l’un des phénomènes en vogue est de créer des nouvelles fonctions de “Chief Happiness Officers”. Le problème, c’est que sans réflexion profonde sur ce que signifie le bonheur au travail dans une entreprise donnée, l’embauche d’un Chief Happiness Officer relève de la pensée magique — comme si l’employeur, tel un démiurge, pensait avoir le pouvoir de donner une existence à ce qu’il nomme, simplement parce qu’il le nomme. Le langage peut parfois être “performatif” (“Je déclare la séance ouverte !”, Quand dire, c’est faire). Mais bien souvent l’innovation dans les intitulés de postes n’est rien de plus qu’un cautère sur une jambe de bois.

Recruter les nouveaux talents est un défi, de même que les retenir si l’on a réussi à les recruter

Aplanir son organigramme et inventer des nouveaux titres ne suffit pas à attirer les talents indispensables à la transformation numérique de l’entreprise. Pour relever le défi de l’attraction et de la rétention des nouveaux talents, l’entreprise doit développer une nouvelle sensibilité et appliquer des méthodes de design (voir notre article sur le design) à la gestion des ressources humaines.

De plus en plus, on parle d’utiliser le design thinking pour améliorer l’expérience de l’employé. Une récente étude publiée par Deloitte nous signale que “le design thinking vise à attaquer la complexité inutile de l’environnement de travail, en plaçant l’expérience de l’employé au coeur du système — en créant des solutions séduisantes, agréables et simples pour les employés”.

C’est avec de l’empathie, une connaissance approfondie des difficultés des employés, que l’on peut faire du design thinking à l’échelle de l’environnement de travail, et ainsi espérer améliorer la capacité de son entreprise à recruter et retenir les talents. Par exemple, l’utilisation d’outils informatiques au design efficace est devenue plus critique pour des employés qui sont aussi, dans leur vie privée, les utilisateurs d’applications grand public au design fluide. Comment un utilisateur d’Instagram peut-il supporter le design hostile d’une application comme Salesforce ?

Les questions touchant à la transformation des entreprises sont complexes : quels sont les changements fondamentaux qui entraînent le reste ? Nous pensons que les individus, qu’il s’agisse des employés ou des clients, doivent devenir le point fixe des démarches de transformation. C’est dans ce sens qu’il faut imaginer la transformation par le design thinking — et c’est des individus eux-mêmes, et des besoins qu’ils expriment, que doivent découler la stratégie et l’organisation de l’entreprise.

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