How to Redefine Corporate Diversity

19 July 2017 - Author : Laetitia Vitaud

This article is only available in French.

Pourquoi notre manière de recruter favorise certains profils plutôt que d’autres ?

En matière de ressources humaines, la diversité s’impose de plus en plus aux entreprises comme un objectif ou une obligation. Il en va de leur image, de leur marque employeur, mais également de leur capacité à créer de la valeur en exploitant mieux les talents. Et dans un contexte où il est parfois difficile de recruter, élargir le vivier de recrutement apparaît comme une solution évidente : s’il n’y a pas assez d’ingénieurs issus d’établissements prestigieux (bien souvent réservés à des élites), pourquoi ne pas aller chercher ses collaborateurs dans des établissements moins cotés (où se trouvent des « minorités »), quitte à investir pour compléter leur formation ?

Il a récemment été souvent question de diversité à propos des entreprises de la Silicon Valley, réputées peu accueillantes pour la gent féminine. Par exemple, la culture sexiste de l’entreprise Uber a beaucoup fait parler d’elle ces derniers mois (voir notre article sur la culture d’entreprise chez Uber). Mais au-delà des entreprises numériques, nombreux sont les métiers et les secteurs où les femmes n’ont encore qu’une place marginale. La diversité hommes/femmes reste faible dans le monde de la finance, des travaux publics, de l’enseignement en premier cycle, de la santé, etc.

Contrairement aux Etats-Unis, les statistiques officielles concernant les origines ethniques et culturelles et l’appartenance religieuse sont illégales en France. Toutefois, l’absence de diversité ethnique ou religieuse est un sujet bien documenté grâce à de nombreuses études et au travail d’associations de luttes contre les discriminations. Ainsi, la discrimination à l’embauche en fonction de l’origine ethnique est un fait de société mesuré et connu. En France, l’observatoire des discriminations, mène des études sur les discriminations liées au sexe, à l’âge, au lieu de résidence, au patronyme, à l’apparence physique, à l’orientation sexuelle…

Pourtant, pour essentiels qu’ils soient, ces types de diversité quantifiables masquent d’autres types de différences moins visibles et moins documentées, qui mériteraient d’être également prises en compte. Par exemple, les différences de personnalité font rarement l’objet de politiques de diversité en entreprise. Inconsciemment, les recruteurs ont tendance à recruter des profils psychologiques et neurologiques similaires, même lorsque ceux-ci correspondent à des personnes d’origines diverses. Nos méthodes de recrutement conventionnelles, basées essentiellement sur l’entretien de personnalité, écartent de nombreuses personnes qui pourraient pourtant contribuer à la richesse de l’entreprise — en particulier les “introvertis”, qui ne brillent pas en entretien.

Elargir le concept de diversité pourrait être un objectif de ressources humaines à part entière. Aujourd’hui, certaines entreprises pionnières interrogent nos pratiques de recrutement et de gestion des ressources humaines à l’aune de cet objectif…

Pourquoi les “introvertis” commencent à prendre leur revanche

Depuis quelques années, de nombreux articles mettent en avant la discrimination dont les “introvertis” feraient l’objet en entreprise. Les entretiens de personnalité comme principal outil de sélection des candidats contribuent à donner un poids dominant aux soft skills que sont la facilité à parler en public, à se mettre en avant, à échanger de manière informelle et improvisée avec des inconnus, à travailler en équipe, à networker, à se conformer aux standards. Or ces qualités ne sont pas partagées par tous et ne sont pas forcément corrélées à la performance professionnelle quel que soit le poste. S’il peut paraître sensé de recruter des extravertis à des postes de commerciaux, ces qualités ne sont pas forcément indispensables à des postes d’analyse, par exemple.

La distinction entre “introvertis” et “extravertis” est de plus en plus souvent abordée en entreprise. C’est à partir des années 1920 que Carl Jung théorise le sujet. L’introversion désigne la tendance à préférer la gratification interne. Les introvertis seraient plus réservés et moins bavards en groupe et prendraient plus de plaisir à des activités solitaires comme la lecture. Ils préféreraient observer avant d’agir. Utilisée dans les tests MBTI, dont le succès ne se dément pas, l’opposition entre introvertis et extravertis est devenue un thème fréquent, notamment dans les entreprises de la Silicon Valley qui aiment glorifier les parcours des entrepreneurs introvertis comme Mark Zuckerberg.

Il est désormais question des multiples avantages qu’il y aurait à favoriser le recrutement des introvertis en entreprise. Certaines études parlent même des qualités managériales supérieures des introvertis. Un livre intitulé Quiet:The Power of Introverts in a World That Can’t Stop Talking (“Silence : le pouvoir des introvertis dans un monde qui n’arrête pas de parler”), paru en 2012, a rencontré un immense succès — plus de 2 millions d’exemplaires vendus. Le livre a popularisé l’idée qu’il fallait transformer ses process de recrutement pour ne pas passer à côté de ces talents.

Certaines entreprises se sont penchées sur la question. Ainsi, l’entreprise Amazon a transformé la manière dont les réunions étaient conduites : chaque réunion se tient en silence et personne n’a le droit de s’exprimer avant d’avoir au préalable lu un mémo de 6 pages. Google, quant à elle, s’efforce de limiter le poids des entretiens d’embauche dans son processus de recrutement pour donner plus d’importance aux exercices de mise en situation, lors desquels les candidats sont évalués sur leur capacité à effectuer les types de tâches pour lesquels ils sont recrutés.

Récemment, des études ont mis en avant l’importance de la diversité des profils au sein des équipes. D’autres montrent que les extravertis ne sont de meilleurs managers que lorsque les employés sont censés obéir aux ordres, pas lorsqu’on attend qu’ils pensent par eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, la question de la diversité des profils s’accompagne de celle du management des équipes qu’ils forment. C’est une chose de viser la diversité, c’en est une autre de s’assurer que chacun s’insère dans l’entreprise et que les équipes communiquent correctement. Une conscience accrue des profils psychologiques des individus sert aussi l’objectif d’une meilleure communication entre des individus différents. En tout cas, elle met le sujet sur la table.

Le double effet des tests MBTI

La popularité croissante des tests de personnalité de type MBTI (Myers-Briggs Type Indicator) laisse penser qu’il y a en entreprise une sensibilité de plus en plus grande à la diversité des types de personnalité. (Lire ce remarquable article du Financial Times pour connaître l’histoire du MBTI, sa signification et les controverses qui y sont associées). Il est utilisé de manière systématique dans certaines entreprises — McKinsey est souvent cité en exemple  –  pour identifier les dominantes psychologiques des personnes dans des cadres liés au management ou aux problèmes de relations interpersonnelles.

Depuis 30 ans, le succès non démenti du test impose l’idée de la diversité dans plusieurs dimensions de la personnalité des collaborateurs :

  • puiser l’énergie : les introvertis (I) rechargent leurs batteries dans la solitude tandis que les extravertis (E) préfèrent être en groupe ;
  • recueillir l’information : les intuitifs (N) ont une vision d’ensemble tandis que les sensoriels s’intéressent davantage aux détails sensibles
  • prendre des décisions : certains (T) prennent leurs décisions de manière strictement rationnelle tandis que d’autres le font en fonction de leurs émotions (F) ;
  • passer à l’action : ceux qui sont dans le jugement (J) aiment le contrôle et la maîtrise, tandis que ceux qui sont dans la perception (P) préfèrent la souplesse et la flexibilité.

Une partie du succès de la méthode repose sur l’idée qu’il n’existe pas de “bons” ou de “mauvais” profils. Chacun des 16 profils MBTI est identifié par ses forces plutôt que par ses faiblesses. (C’est d’ailleurs pour cela que la méthode est critiquée : même un tueur en série serait présenté sous un jour positif à l’issue d’un test Myers-Briggs !) On pourrait donc penser que ce succès a contribué à augmenter la diversité des profils psychologiques en entreprise.

Mais ce type de tests n’est que rarement utilisé pour augmenter la diversité des équipes. Soit il n’est pas utilisé du tout dans le processus de recrutement. Soit il l’est à mauvais escient lorsqu’il est utilisé pour éliminercertains profils jugés non conformes à la culture de l’entreprise. Enfin, il est souvent interprété de manière limitative lorsqu’il s’agit de faire correspondre un profil à un type de poste, sans prise en compte des aspirations et ambitions des individus. S’il est utilisé de manière déterministe (lorsque le profil est pris comme une donnée immuable et limitative), alors il dessert plus qu’il ne sert l’objectif de diversité. Dans ce cas, la méthode n’est guère plus utile aux ressources humaines que ne le serait l’astrologie.

Bien qu’ils suscitent des controverses, les tests de personnalité ont néanmoins eu le mérite de mettre l’accent sur des caractéristiques qui étaient absentes des processus de recrutement traditionnels. Ils ont eu le mérite de remettre en question le règne sans partage des entretiens de personnalité comme seul critère de sélection des candidats. Ils ont donc contribué à enrichir et nuancer les modes de recrutement. Le résultat le plus positif de la remise en question de ces modes de recrutement est la prise en considération d’un autre axe de diversité, jusqu’alors négligé, celui de la diversité neurologique…

Et si la neurodiversité était un avantage compétitif ?

Jusqu’à récemment, les personnes qui ont de troubles du spectre de l’autisme n’étaient jamais ciblées par les politiques de diversité en entreprise, du moins en dehors des politiques ciblant le handicap. Or nombre de ces personnes ont des talents hors norme en matière de reconnaissance de patterns, d’analyse de données, de calcul, etc.

Un article récent de la prestigieuse Harvard Business Review aborde le sujet de la “neurodiversité” et met en avant “l’avantage compétitif” des entreprises qui en font un objectif pour leurs ressources humaines. Lorsque les méthodes conventionnelles de recrutement et de gestion des carrières restent inchangées, les talents de la “diversité neurologique” sont systématiquement écartés. La conformité aux approches standardisées les élimine d’emblée. En revanche, les entreprises qui transforment leurs pratiques pour exploiter ce type de diversité peuvent prendre une longueur d’avance sur leurs concurrents.

L’article détaille les programmes mis en place au sein d’entreprises comme SAP, Microsoft, Hewlett Packard Enterprise, Willis Towers Watson, ou encore EY. Depuis quelques années (parfois le programme n’est que très récent), ces organisations remettent en cause leur approche RH standardisée pour mieux recruter les talents dont elles ont besoin. Dans un contexte de pénurie des talents, notamment pour l’analyse des données ou le développement informatique, l’élargissement du vivier de recrutement apparaît comme une entreprise sensée.

D’après la Harvard Business Review, ces programmes seraient déjà couronnés de succès. Les premiers résultats de Hewlett Packard Enterprise, par exemple, indiquent que les équipes qui incluent cette forme de diversité seraient 30% plus productives que les autres. “L’avantage du recrutement des personnes ‘neurodiverses’ est évident au vu de la pénurie de main d’oeuvre qui touche les entreprises technologiques”, explique l’article. C’est vrai aussi en Europe : d’après une étude de la Commission européenne, il manquera à l’Union européenne 800 000 ingénieurs IT d’ici 2020. Certains métiers comme l’analyse de données sont particulièrement touchés. A elle seule, la pénurie pourrait forcer de nombreuses entreprises à devenir plus innovantes en matière de recrutement — et, pourquoi pas ?, à s’intéresser aux personnes qui ont des troubles du spectre de l’autisme, comme le syndrome d’Asperger.

Aujourd’hui, nous en sommes encore loin. Tant que les entreprises sur-valoriseront l’entretien d’embauche et chercheront à pratiquer les mêmes méthodes de recrutement à grande échelle, promouvoir la diversité restera impossible. Certaines compétences, comme la facilité à communiquer et à se conformer aux standards, resteront sur-valorisées quel que soit le poste.

Redéfinir la notion de diversité en entreprise n’est pas seulement une question de responsabilité sociale. C’est une question d’innovation et de transformation, qui implique un changement de paradigme managérial. Pour intégrer la diversité nécessaire à l’innovation, les managers doivent mettre chaque individu en situation de maximiser sa contribution. Si chaque employé est une pièce irrégulière et différente d’un vaste puzzle, alors il n’est plus possible de juxtaposer des pièces fongibles interchangeables. Le rôle du manager consiste alors à assembler les pièces de ce puzzle pour tirer parti des individualités. L’enjeu est désormais de personnaliser le management, de former les équipes à la diversité, de permettre des conditions de travail différenciées, et de s’ouvrir à la possibilité du télétravail… un vaste chantier qui aura des bénéfices pour tous les talents de l’entreprise.

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